FAIRE L'HISTOIRE D'UN BOUT DE RUE
L'EXEMPLE DE LA RUE SAINTE-ROSE, À MONTRÉAL

Appliquons les acquis développés dans les sections précédentes du site, en prenant comme exemple une recherche sur les premiers occupants d’une rue du dernier quart du XIXe siècle. Cela nous permettra de démontrer que les annuaires peuvent servir à autre chose qu'à dater une maison: ils peuvent aussi nous renseigner sur les occupations des premiers occupants et nous laisser entrevoir leur origine sociale.

Comme on l’a vu, la rue Sainte-Rose est située dans le quartier Sainte-Marie, au centre du quadrilatère bordé par la rue Sainte-Catherine, l’avenue Papineau, le boulevard René-Lévesque (anciennement Dorchester) et la rue de La Visitation. Elle s’interrompt toutefois entre les rues Maisonneuve et Panet, ce qui n’en fait qu’un tout petit bout de rue qui aurait bien pu passer totalement inaperçue.

En nous appuyant sur les Annuaires Lovell, nous constatons que la rue Ste-Rose est mentionnée pour la toute première fois en 1879-1880. Les premières adresses sont apparues en même temps, d’un bout à l’autre de la rue (entre les numéros civiques 1 et 65, dans la section droite de la carte, puis de 111 à 125, à gauche), signe que la plupart des maisons auraient été construites en série et presque simultanément à partir des années 1879-1880, puis graduellement occupées, simultanément dans les deux secteurs.

Mentionnons qu’on retrouve parmi les habitants, une veuve, un commis, un policier, un gardien, des cordonniers, des charpentiers, un commis, des marchands, des hommes d’entrepôt et des travailleurs journaliers.

Incidemment, l’énumération des occupations des habitants de ces immeubles n’est pas fortuite ici. Elle nous renseigne sur le type d’emplois disponibles dans le quartier Centre-Sud, à une époque où les gens habitaient encore à proximité de leur lieu de travail, de même que sur le type de services que ceux-ci requéraient de retour à la maison. En parallèle, nous savons par ailleurs que le secteur regorge déjà d’entreprises diverses telles que la brasserie Molson, la Canadian Rubber -- une manufacture de caoutchouc spécialisée dans la fabrication de bottes et chaussures imperméables -- et aussi la Mc Donald Tobacco, plus à l’est, de même que des fabriques, tanneries et briqueteries étalées le long des voies de chemin de fer et des installations portuaires.

Dès lors, par cette mention, nous désirons insister sur le fait qu’il est fort intéressant d’apprendre à lire la ville en tenant compte aussi de la question sociale.

Mais en 1880, ce n’est pas toute la rue Sainte-Rose qui est occupée comme nous pouvons le constater sur la carte de 1912.En effet, le pâté de maisons situé au coin des rues Plessis et Sainte-Rose, à gauche de la carte, n’est pas encore construit tel qu’en fait foi le fragment de la carte de 1881 ci contre1. Les lots 312 et 313 appartenaient alors respectivement à S. Latour & J. B. Dumont et à Jos. Hoolahan qui, lui, avait au moins érigé un petit bâtiment en bois.

De plus, au moment de réaliser la carte, les deux premiers lots suivants n’avaient été construits que dans leur portion arrière, le lot 301 appartenant alors à Jos. Ross et le 302 à M. Richardson. Le lecteur aura compris que les résidants du 111 et du 113 devaient alors occuper des maisons de fond de lot. Qui plus est, tout juste une année après notre premier recensement des occupants du secteur, un cordonnier arrive à une nouvelle adresse, le 115 alors que celui du 117 a quitté. De plus, le 119 devient vraisemblablement vacant et le 125 loge dorénavant un assembleur, un finisseur de cuir et un travailleur.

C’est dire que les gens sont paticulièrement mobiles dans leur quartier.

Notons qu’il faudra attendre en 1890 pour voir apparaître de nouvelles maisons, plus grandes, situées cette fois à proximité du trottoir.

On aura évidemment constaté que le lot 313 n’est pas encore construit à l’exception de ce qui pourrait être un entrepôt ou un hangar en bois ne portant pas d’adresse. En effet, ce n’est qu’en 1891-1892 que les adresses civiques 91 à 107 apparaîtront en même temps dans le Lovell, soit 11 années plus tard et les maisons ne pourront être aperçues dans un atlas que beaucoup plus tard, soit en 1907!

On verra notamment s’y installer une dame n’ayant pas déclaré son statut d’emploi (probablement une ménagère), un marchand, deux policiers, deux charpentiers, un conducteur, un maçon et un commis.

Ainsi, les dernières maisons à apparaître sur cette rue ont été érigées entre 1890 et 1892.

Bien que les seuls annuaires ne nous permettent pas de conclure sur la date de construction effective des maisons, notre analyse nous aura permis de constater que les maisons n’apparaissent pas nécessairement toutes en même temps sur une rue donnée. Elles sont construites à partir du moment où le propriétaire du terrain décide de le lotir et de le bâtir. Constatant que le secteur se construisait rapidement, monsieur Hoolahan a exercé une rétention foncière pendant une bonne dizaine d’années. Qu’avait-il en tête? Désirait-il spéculer encore un peu plus longtemps sur la valeur de son terrain? Nous n’en savons rien.

Mais ce que nous savons, c’est que même si la rue Sainte-Rose ne s’étend que le long de trois îlots dans le quartier, elle s’est développée rapidement et s’est diversifiée au regard des gens qui l’ont occupée et qui y ont exercé leurs métiers dans les usines avoisinantes qui nécessitaient leur force de travail.

Malgré sa dimension réduite, la rue Sainte-Rose peut assurément dire qu’elle a joué naguère un rôle dans le paysage urbain du quartier Centre-Sud!
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1  Plus ancienne que la carte de 1912, la carte de 1881 illustre, en jaune, les bâtiments en bois et, en rouge, les bâtiments revêtus de pierres ou de briques.