LES PLANS D'ASSURANCE INCENDIE
COMME OUTIL DE RÉFÉRENCE
POUR INTERAGIR SUR LES MÉDIAS SOCIAUX


Une correspondante du groupe Facebook© intitulé Montreal Historical–Photos--Historiques a récemment publié sans aucune référence cette vue aérienne orientée nord-sud de la rue Saint-Denis à l’endroit où elle traverse un viaduc. En réponse à la question d’un autre membre qui désire en savoir plus sur l’emplacement, l’auteure y va d’une information incomplète qui est questionnée à nouveau par un troisième membre. Voilà un excellent prétexte pour utiliser les plans d’assurance incendie (PAI) afin de répondre aux interrogations et éventuellement susciter d’autres échanges.

Repérer l’intersection où la photo a été prise est assez simple avec Google Map©: il ne pourrait s’agir que d’une section du Boulevard Métropolitain ou du viaduc supportant le chemin de fer du Canadien Pacifique, un peu plus au sud, au niveau de la rue Des Carrières. Optant pour cette seconde option, nous avons eu recours aux plans d’assurance incendie de Montréal qui sont disponibles sur Internet et qui restent une source à découvrir. Pour amorcer la recherche, il faut d’abord consulter la carte-index publiée par par la BAnQ1 pour connaître le numéro du volume dans lequel le plan du secteur pourrait se trouver puis, pour choisir l’année de référence que nous allons privilégier afin de supporter notre enquête. Dans ce cas, il s’agit du volume V de l’année 1955 dans lequel nous avons retenu les planches 309, 310-3 et 317 qui illustrent entièrement l’espace couvert par la photographie.


Avant d'aller plus loin, prenons quelques minutes pour observer la photo...© Archives de la Ville de Montréal
... À prime abord, nous constatons qu’elle a été captée entre la fin de l’automne et le début du printemps puisque les bâtiments, les cours et les trottoirs sont couverts de neige. Mais nous ne pouvons en dire plus sur sa datation pour le moment. En la comparant avec les trois planches tirées du PAI, nous découvrirons toutefois quatre éléments particulièrement intéressants du bâti que nous présenterons ici très sommairement.

© Archives des Carmélites de MontréalSource: BAnQ numériqueAu sud-ouest, apparaît le Couvent des Carmélites2 localisé au 351 Avenue du Carmel à l’angle de l’avenue Henri-Julien, et ses terrains attenants entourés d’une enceinte de 8,5 mètres de hauteur (flèche orange). Construit en 1896 sur un terrain cédé quatre années plus tôt par William Edmond Blumhart, fondateur du journal La Presse, le couvent de deux étages est construit en pierres et comprend un cloître entourant une cour intérieure et une chapelle. Le monastère est encore occupé de nos jours (planche 309).

Accolés au viaduc et aux rails du Canadien Pacifique, les entrepôts de charbon de la Charcoal Supply & Sales Ltd se trouvent aux numéros civiques 5551 à 5557 de l’avenue Henri-Julien et comprennent Source: BAnQ numérique une manufacture d’impressions de sac de papier. L’entreprise occupe ainsi trois grands bâtiments d’un étage, construits en bois, et un bâtiment entièrement briqueté, de deux étages. L’histoire de la compagnie mère3 nous dit que la pyrolyse du bois franc était effectuée dans les fours d’une usine du village du Mont-Tremblant et que le produit fini était ensuite transporté par rails vers Montréal, d’où l’intérêt de l’entreprise à être localisée à proximité du chemin de fer (planche 309).

Notons que la CS&S devait nécessairement ne fournir que les industries utilisant encore ce combustible puisque le chauffage domiciliaire au charbon avait été interdit à Montréal vers 1940. De nos jours, l’entreprise aura cédé sa place à des unités d’habitations.

Source: BAnQ numériqueAu nord des voies du Canadien Pacifique4 traversant la rue Saint-Denis se trouvent les hangars briquetés de la Montreal Transportation Commission (auparavant la Montreal Tramways Company) répartis sur deux lots cadastraux (3165 et 3058) de part et d’autre de la rue De Fleurimont entre les rues Saint-Denis et Henri-Julien, dans l’axe est-ouest. Les lots s’étendent à partir du viaduc jusqu’à la rue Bellechasse, dans l’axe sud-nord (planches 310-3 et 3017).

Notons pour l’histoire que la rue De Fleurimont sera raccordée au Boulevard Rosemont, quelques années plus tard que le montre la photo, et mènera au quartier d’Outremont via le viaduc Van Horne.

Pour fins d’entretien, de réparation et d’entreposage, les hangars accueillent des trolleybus et des autobus dans les bâtiments sud et des tramways et des trolleybus dans les bâtiments nord, si on en juge par les informations présentes sur le plan. Le matériel est rangé dans l’immense dépendance, apparaissant un peu plus au nord (en gris).La sous-station électrique de la compagnie est localisée dans les édifices sis au 208-306 de la rue Bellechasse. Le PAI indique que les trois bâtiments logent principalement quatre générateurs de 500 Kilowatts, des batteries et des transformateurs qui pouvaient véritablement constituer un possible risque d’incendie.

Conséquence de l’évolution des modes de transport, tous ces bâtiments sont disparus du paysage montréalais ; les espaces étant aujourd’hui occupés par un grand édifice à bureau et un stationnement.

Arrêtons-nous ici un moment pour relever une information qui nous permettra enfin de mieux dater la photo-aérienne. Source: BAnQ numériqueEn effet, sachant que les tramways roulaient nécessairement sur des rails, nous remarquons qu’il n’y a aucune voie de tracée permettant à ceux-ci d’entrer et de sortir des édifices tel qu’on le voit pourtant à droite sur l'extrait de la même planche, mais provenant cette fois du PAI de 1943, qui indique que les véhicules sur rail arrivaient et repartaient par la rue De Fleurimont et pouvaient même traverser les bâtiments pour être entreposés.

Cette constatation jumelée à l’observation de la photographie nous porte maintenant à croire que cette dernière daterait de la toute fin des années 50 (1959-1960). En effet, les tramways ont été progressivement retirés des rues de Montréal au cours des années 1951 à 19595. Les trolleybus ont été utilisés en parallèle avec les tramways jusqu’à leur retrait en 1966, pour être remplacés à leur tour par des autobus (date de l'entrée en fonction du métro6) .

Ceci dit, les trois ensembles décrits précédemment apparaissent bien en évidence sur la photo. Mais il existe aussi un autre bâtiment sur Saint-Denis qui se fait certes beaucoup plus discret mais qu’il ne faudrait pas passer sous silence: L’hôpital Sainte-Justine, situé aux numéros civiques 6055 et 6081 de la rue Saint-Denis et au 5952 de l’avenue de Saint-Valier.

Source: BAnQ numérique Photographe non identifié Après avoir été localisée en 1908 sur l’avenue De Lorimier près de la rue Rachel, l’hôpital s’est installé sur la rue Saint-Denis en 1914, sur un terrain offert par la famille de Gaspé Beaubien7 (planches 317). « Des agrandissements successifs viendront combler le manque d'espace au fil des ans et en 1957, à la veille du déménagement sur le chemin de la Côte-Sainte- Catherine8, l'hôpital est une véritable mosaïque de bâtiments reliés qui peut abriter 540 enfants»9 .

La régie interne de l’hôpital avait été initialement confiée aux sœurs de la Congrégation des Filles de la Sagesse libérant ainsi les infirmières des services administratifs, des travaux domestiques et de certains soins aux enfants. À cet effet, le plan montre le bâtiment arrière qui, relié à la chapelle principale par une passerelle construite au-dessus de la ruelle, regroupe la résidence des employés, la buanderie ainsi que des appartements privés. L’hôpital aura malheureusement été démoli en 1963, cédant la place notamment à la Cour de la Jeunesse.

Au terme de cette enquête, nous constatons s’être grandement enrichis de nouvelles connaissances sur l’histoire et la géographie de ce secteur de Montréal. La photo-aérienne publiée anodinement sur Facebook avait piqué notre curiosité au point de nous inciter à découvrir et à noter plus précisément les éléments de son contenu. Mais il nous restait encore une tâche à accomplir, celle de répondre succinctement aux membres de notre groupe sur Facebook. Voici donc, en terminant le message que nous nous sommes empressés de poster.


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1(http://numerique.banq.qc.ca/p/carte_index_MTL.html).  Voir aussi l’outil «Comment se servir des plans d’assurance incendie» dans la section Pour en savoir + .

2 © Archives des Carmélites de Montréal. In : Le patrimoine immatériel religieux du Québec, Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique, Université Laval (2013) (http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=233)

3 Dans les années 40, la CS&C, auparavant la Charcoal Supply Co. of Quebec Ltd, une filiale de la Standard Chemical Co. Ltd.

4 Notons que les voies du Canadien Pacifique traversant la rue Saint-Denis reliaient notamment la Cour Hochelaga, au sud-est du secteur à l’étude, les usines Angus du quartier Rosemont sise plus au nord et, bifurquant vers le nord-ouest de l’île, la Cour d’Outremont.

5 29 août 1959 : « Le retrait des tramways » in Découvrez la STM et son histoire, Société des transports de Montréal. (http://www.stm.info/fr/a-propos/decouvrez-la-STM-et-son-histoire/histoire/histoire-des-tramways)

6 19 juin 1966 : « Les derniers tramways de Montréal », in Histoire du Plateau-Mont-Royal, 23 novembre 2007, (http://histoireplateau.canalblog.com/archives/2007/11/23/6998582.html)

7 «Grâce au don d'un terrain de la famille de Gaspé Beaubien, l'hôpital est déplacé à nouveau en 1914, rue Saint-Denis près de Bellechasse, dans un plus vaste espace qui sert pendant 40 ans. Au cours de cette période, l'immeuble est agrandi à cinq reprises, portant à 540 le nombre de lits disponibles en 1957. L'hôpital forme également les infirmières à l'école des garde-malades jusqu'en 1970.»; in Montréal en quartiers : Hôpital Sainte-Justine, référence : (http://www.memorablemontreal.com/print/batiments_menu.php?quartier=6&batiment=164§ion=Array&menu=histoire)

8 «Au cours des années 1950, la décision de construire un nouvel hôpital plus près de l’université de Montréal se concrétisa. L’hôpital déménagea donc une fois de plus en 1957 et on procéda à la démolition de l’immeuble au coin de la rue Bellechasse en 1963.»; Guillaume Saint-Jean, in Montage d’un jour : l’Hôpital Sainte-Justine, intersection des rues Saint-Denis et Bellechasse, 7 septembre 2011. ( http://spacing.ca/montreal/2011/09/07/montage-du-jour-lhopital-sainte-justine-intersection-des-rues-st-denis-et-bellechasse/)

9> Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Montréal, je me souviens!: Justine Lacoste Beaubien, 25 novembre 2012. (http://montrealjemesouviens.blogspot.com/2012/11/hopital-sainte-justine.html)
Façade de l’hôpital Sainte-Justine, photographe non identifié, 1934.



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