LES FAÇADES DE BRIQUES ROUGES
DE LA RUE SAINTE-ROSE

À plusieurs occasions dans ce site, il est question de la rue Sainte-Rose et d’une série de cinq bâtiments dont l’un présentait des empreintes de chat. Nous voulons revenir sur cet ensemble immobilier afin d’aborder cette fois la fabrication des briques qui ornent leur devanture. S’il ne paraît pas nécessaire de localiser avec précision cette série de maisons du Centre-Sud de Montréal, il convient de rappeler leur date d’arrivée et d’illustrer leur façade.

Les cinq immeubles, tels qu’il apparaissent sur Google Street View, ont été construits en rangée et en un même temps entre 1890-1892 vraisemblablement par le même entrepreneur si l’on considère le style architectural, le positionnement des portes et fenêtres et les matériaux utilisés.

Qui plus est, ils occupent le dernier lot qui restait à bâtir sur la rue, soit le lot longitudinal de Jos. Hoolihan (#313) qui apparaît sur les deux fragments de cartes ci-contre.

Comportant trois étages auxquels les locataires ont accès par un escalier intérieur, les maisons sont directement alignées le long du trottoir. Érigées en « carré de bois » constitués de madriers empilés pièce sur pièce, les immeubles ne disposent pas de cave . Tout au plus, des soupiraux apparaissant au niveau de la rue laissent deviner ce que l’on appelle un « espace de rampage » donnant accès aux fondations et à la tuyauterie par une ouverture aménagée vraisemblablement dans le plancher du rez-de-chaussée et qui permet de maintenir une couche d’air pour l’isoler contre le froid hivernal (ellipses jaunes). Le parement du solage et le linteau des soupiraux est en pierre calcaire grise venant fort probablement des grandes carrières situées au nord du Plateau Mont-Royal.

Accolées les unes aux autres, les maisons sont construites sur des lots d’une superficie de 93,90 m2 (environ 1010 pi2) . Elles sont briquetées et séparées par un mur coupe-feu que l’on ne peut apercevoir sur les photos mais qui figure clairement sur ce fragment du Plan d’incendie de 1926. De tels murs sont devenus obligatoires après le grand incendie de 1852 qui a ravagé près d’un sixième de la ville et laissé près de 10 000 personnes sur le pavé.

Observons bien maintenant la façade du 1337-1339 qui nous apparaît avoir été conservée quasi intacte au fil des ans, à l’inverse d’une autre maison à l'extrême gauche de la série, le 1329-1331, qui a été complètement rénovée. Le parement de cet immeuble de 6,36m de largeur (près de 21 pieds) est constitué de briques communes faites en terre cuite (argile) de couleur ocre-rouge, de forme rectangulaire et aux arêtes plutôt droites. Le joint de mortier épouse la forme parfois irrégulière des briques. Il est plein et seulement affleuré, l'excédent de mortier en surface ayant été arasé à la truelle. Le mur ne nous apparaît pas avoir été peint mais certaines sections ont manifestement été rejointées.

Les briques de façade, non porteuses, sont disposées en panneresse, c’est-à-dire qu’elles sont placées de manière à laisser voir leur plus grande dimension parallèle au mur. La brique ayant une dimension d’environ 12 pouces par quatre, le mur avait donc une épaisseur de 4 pouces et était fixé aux madriers (voir l’article « Comment les maisons tiennent debout »).

Fabriquées généralement en 3 étapes dans des briqueteries locales, les briques étaient faites à partir d’argile bleue qui adhère fortement. Cette argile était extraite de carrières avoisinantes. Broyée pour obtenir la granulométrie souhaitée puis humidifiée, l’argile était façonnée dans des presses. Par la suite, les briques étaient séchées à l’air avant d'être cuites afin d’éviter les accidents de cuisson par accumulation de vapeur dans les fours. C’est cette dernière opération qui lui donnait naturellement sa couleur rouge.

Les marques qui apparaissent parfois sur les briques seraient causées par la truelle qu’utilisaient les employés de la briqueterie pour enlever l’excédent d’argile sur celles-ci au sortir de la presse.

Toutefois, vers la fin du XIXe siècle, l'expansion rapide des villes a favorisé le développement de nouvelles techniques pour augmenter la production. À preuve, en 1871, deux briqueteurs de Montréal, Henry Bulmer et Charles Sheppard, font breveter une presse à brique automatique, la «machine à briques canadienne », « qui fonctionne à la vapeur ou à l'eau voire peut-être même actionnée par des chevaux » et qui a connu un vif succès en raison de l’économie de temps et de main-d’œuvre qu’elle a généré. Comme l’indique le texte du brevet, on « mélangeait l'argile dans une grande cuve surélevée qui alimente un moule vide de six briques placé juste au-dessous. À l'aide de levier, les moules pleins étaient envoyés sous une presse. On pouvait ajuster manuellement la pression exercée sur les moules»1

L’argile était présente en abondance dans le sol montréalais pour alimenter les presses. En effet, une grande carrière sise au nord-est du quartier Sainte-Marie, dans le village De Lorimier (qui sera annexé à Montréal en 1909), était exploitée. Elle s’étendait entre les rues Hochelaga, Parthenais, Rachel et d’Iberville, comme en fait foi la carte présentée ici2 . Son exploitation, qui dura jusqu’au début du XXe siècle, a fini par entraîner la formation d’un profond ravin.

Bien évidemment, nous ne savons pas vraiment si les briques de la maison du 1337-1339 de la rue Sainte-Rose ont été fabriquées avec ce type de presse ni avec l’argile de la carrière De Lorimier, mais considérant que deux briqueteries importantes étaient justement situées dans le quartier Sainte-Marie à la fin des années 1870, la Bulmer & Sheppard et la T. W. Peel & Co -- et que de plus, la première produisait environ 10 millions de briques annuellement et la seconde 4 millions -- nous aimons croire que les briques ont été acquises localement chez l’une ou l’autre de ces entreprises par l’entrepreneur chargé de construire l’immeuble.

Si bien des auteurs ont reconnu le rôle des carrières de pierre dans la formation du construit montréalais, force est d’admettre qu’on a peut-être négligé de souligner l’existence des carrières d’argile, comme celle de De Lorimier.


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1Brevet no 1069 . Date de dépôt : 1871. ; « Appareil automatique à fabriquer des briques », H. Bulmer et Charles. Sheppard, de Montréal. Bibliothèque et Archives du Canada, Faits au Canada: les brevets d’invention et d’innovation au Canada.
2 Section de la planche 6 de la carte de 1907 montrant approximativement l’étendue de la carrière d’argile de Bulmer & Sheppard.

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